L'acid rock de San Francisco
La révolution musicale « psychédélique » vient de San Francisco. Je me suis rendue sur place avec mon ami musicien Patrick Dietsch dans l'intention d'explorer les débuts de l’acid rock. Patrick a une amie qui n'habite pas loin de la Baie, Julia Brigden. Julia est une ancienne hippie mais pas n’importe laquelle. Elle fut mariée au bassiste du Quicksilver Messenger Service et s'est retrouvée au coeur d’une fantastique histoire. Nous sommes allés la rencontrer elle et ses amis pour recueillir leur précieux témoignage.
Patrick et moi sommes issus de générations différentes mais nous avons une fascination commune pour ce qui s’est passé dans la baie de San Francisco au cours des années 60.
Patrick a vécu l’histoire de l’intérieur en débarquant à San Francisco en pleine révolution hippie.
A son retour en France, il a fondé le groupe Martin Circus et génialement introduit le psychédélisme dans la pop musique. Faute d’être née à temps, j’ai pour ma part aimé l’histoire de loin, au travers des récits et de playlists incroyables que j’allongeais indéfiniment à mesure que défilaient les années adolescentes. L’attirance pour le psychédélisme n’est pas une question de génération.
Que diriez-vous de vous mettre dans le bain du San Francisco Sound ?
Julia Brigden et Patrick Dietsch se sont rencontrés alors qu’elle était mariée à David Freiberg, le bassiste du Quicksilver Messenger Service.
Julia se fait toujours appeler « Girl ». C’était son surnom au sein de cette famille qui comptait aussi Jefferson Airplane et Grateful Dead.
Julia est très chaleureuse, elle nous ouvre les portes de sa maison pour quelques jours et a tout organisé. Comme cette journée en compagnie de quelques amis. Il y a Jacky Sarti, ancienne manageuse du Jefferson Airplane ; John McIntire, ancien manageur du Grateful Dead ; et Barry Melton, « The Fish », l’ancien guitariste du groupe Country Joe And The Fish.
Jacky Sarti arrive la première chez Julia. Elle nous montre la dernière édition de « The San Francisco Chronicle ». La Une évoque une fête d’anniversaire prévue en l’honneur de la mort de Bill Graham avec un concert au Fillmore organisé par la Bill Graham Foundation.
Pressentant certainement notre question, Jacky nous donne un élément de réponse : San Francisco continue d’honorer les acteurs de sa révolution. Bill Graham est celui qui a créé le célèbre club Fillmore et organisé les plus grands concerts d’acid rock.
Autour d’un café, Jacky nous raconte son histoire : elle a grandi en Angleterre mais San Francisco est devenue sa ville d’adoption. Elle se souvient maintenant pour quelle raison elle n’est jamais repartie :
« L’autre jour j’ai retrouvé un vieux journal intime et justement je me suis mise à la recherche d’un indice qui puisse expliquer ce choix plutôt qu’un autre. J’étais partie à San Francisco dans l’idée de rester quelques mois avant de retourner faire ma vie en Angleterre. Je suis arrivée ici en 1964, tout m’a semblé très excitant ! et je suis tombée amoureuse de Jerry Peloquin, le premier batteur du Jefferson Airplane. »
Jacky passe son temps au Matrix, le club le plus tendance de la ville avant le Fillmore ; c’est aussi un lieu investi par le Jefferson Airplane à ses débuts. Jackie commence par donner un coup de main pour arranger la scène avant de devenir la manageuse du groupe en 1968.
Des beatniks aux hippies
Petit aparté historique ! Avant les hippies, il y a les beatniks. Une génération bohème appelée « the beat generation ». En pleine guerre froide, écrivains et poètes (en tête de file Allen Ginsberg, William Burroughs et Jack Kerouac) investissent San Francisco sur fond de musique bebop. Ils viennent de Greenwich village, New-York, et s’affirment dans leur marginalité. «Poète, juif, pédé, drogué et communiste», c’est ainsi qu’Allen Ginsberg a coutume de se présenter. Ces jeunes étudiants sont fascinés par la drogue pour sa capacité à « explorer la perception » et se définissent comme des esprits libres.
L’oeuvre de Kerouac Sur La Route, dont le héros Dean Moriarty s’inspire du sulfureux ami Neal Cassady, fait un carton et bouscule une Amérique rigide. Un mouvement d’émancipation libère le geste (action painting), la forme (happening), le verbe (poésie), la musique (free jazz) et la parole (prise de position contre le racisme et la guerre au Vietnam).
City Lights, la librairie de l’éditeur Ferlinghetti, devient le centre de gravité de la désinvolture et des happenings. « Beat » évoque le tempo du jazz qui rythme la plume. Ginsberg parle d’une écriture « organique ».
« Je veux être considéré comme un poète jazz-man soufflant un long blues au cours d’un après-midi de jam session un dimanche. Je prends 242 chorus, mes idées varient et roulent quelques fois de chorus en chorus, jusqu’à mi-chemin du suivant. »
C’est dans ce contexte qu’a grandi Julia, à Sausalito, au nord de San Francisco. Elle se souvient de son adolescence : « Il y avait beaucoup de beatniks. Ils sortaient en ville, discutaient souvent autour d’un café ou d’un verre de vin. Mais c’était déjà la fin d’une période et le commencement d’une autre. Le psychédélisme est arrivé et a tout modifié. »
Naturellement, Julia n’échappe à ma question : qu’est-ce qu’a modifié le LSD ?
Julia : « Nous étions des enfants qui allions à l’Eglise, nos parents croyaient en Dieu. Mais notre vision du monde s’est modifiée quand nous avons pris du LSD . C’est vraiment à partir de là qu’on est rentrés dans le mode de vie « sixties ». Pendant deux ans, ce fut une période merveilleuse (1964/ 65). On sentait qu’on pouvait se mobiliser pour un monde meilleur et influer sur la pensée du monde. On se sentait impliqués dans une autre forme de conscience, c’était très excitant ! »
Le slogan « Peace and Love » est naturellement né à San Francisco d’une communauté sous acide. Julia confirme que le LSD n’est qu’amour. « C’est presque impossible d’être violent avec le LSD. Ça développe le sens de la connectivité universelle. »
Les consciences se modifient, décomplexées, désorientées, elles font valser valeurs et sens commun.
« On n’avait plus la notion du bien et du mal. Il a fallu du temps avant qu’on s’y retrouve, avant qu’on se pose les bonnes questions : est-ce mal de coucher avec le meilleur ami de son mec ? Est-ce mal de donner de la drogue aux enfants ? »
Le terme « hippie » n’a d’ailleurs pas bonne côte, il est employé par les vétérans beat pour déprécier cette jeunesse. La musique, prise dans les filets de l’acide lésurgique, se transforme elle aussi. Les sens et les instincts se libèrent à l’infini. Il n’est plus question de chansonnette folk mais d’improvisations électriques qui peuvent durer le temps d’un trip.
Musique + LSD = Acid Rock ?
Au fond, est-ce que cela veut dire que cette révolution musicale n’est qu’une question de drogue ? De l’avis de Julia et ses amis, oui, musique et drogue ont fonctionné ensemble pour briser les barrières psychologiques. Et personne ne pensait au danger puisque cette substance était utilisée par les chercheurs pour soigner des psychoses.
Julia : « Ce n’était pas illégal, c’était même expérimental. On pouvait se rendre à l’université pour expérimenter le LSD, et les médecins observaient notre comportement. Ça rentrait dans leur cadre de recherche ; on tentait par exemple de voir si le LSD pouvait soigner l’alcoolisme. »
Quand la musique a t-elle précisément fusionné avec le psychédélisme ? La question est lâchée. Nos interlocuteurs sont tous unanimes, c’est pendant les acid tests.
Julia se rappelle des tout débuts, lorsque le romancier Ken Kesey (l’auteur de Vol au dessus d’un nid de coucous) fréquentait le guitariste Jerry Garcia sur le campus universitaire et qu’ils s’adonnaient à des expérimentations dionysiaques. Ken Kesey se procurait les doses de LSD au Veteran’s Hospital. Suite à ces expériences Ken Kesey a traversé l’Amérique avec les Merry Pranksters au volant d’un bus scolaire aux motifs psychédéliques. Quant à Jerry Garcia il a créé le Grateful Dead.
Julia évoque l’énorme popularité du Grateful Dead auprès des hippies.
« Dès qu’on allumait la radio, on entendait le Grateful Dead jouer des morceaux interminables. Tout le monde était défoncé en écoutant ça, on ressentait une sorte de connexion universelle. »
John McIntire et Barry Melton viennent de nous rejoindre dans la discussion et ils approuvent pleinement. De l’avis général, le premier acid test a eu lieu le 8 janvier 1966 au Fillmore. Le Grateful Dead (qui était alors le cobaye heureux du chimiste Owsley) étirait ses jams vers l’infini. Les performances étaient interminables, Jacky s’en souvient très bien : « Ils partaient trop loin dans la musique. Je me disais : oh mon Dieu, ils ne vont jamais revenir, ils sont déjà morts ! C’était fantastique. Je comprends pourquoi je ne suis jamais repartie en Angleterre. »
"Les acid tests ont brisé certaines règles. C’est comme si on avait réalisé qu’on participait tous à la création. Il n’y avait plus de barrière entre le groupe et le public. Chaque soir, la musique s’imprégnait de la qualité des vibrations de tous."
John McIntire
Quelques semaines après le premier acid test, un happening organisé au Longshoremen’s Hall est officiellement présenté comme un « nouveau moyen de communication et de divertissement » avec un détail capital, il s’agit d’une expérience psychédélique sans drogue.
« La tonalité générale n’est plus aux happenings empruntés, elle est à des événements jubilatoires où le public participe, parce que c’est plus marrant comme ça. Peut-être que c’est ça la révolution rock. » L’effet empathique du LSD, il fallait le perpétuer mais autrement
"Les tests, c’étaient des milliers de gens complètement défoncés qui se retrouvaient dans une pièce remplie d’autres milliers de gens dont ils n’avaient pas du tout peur."
Jerry Garcia
Jacky explique que les « psychedelic lights shows » ont beaucoup contribué à la magie des concerts. « Ca allait de pair avec la musique, on ne pouvait pas s’en passer, c’était spectaculaire. »
Ce concept visuel initié par le Jefferson Airplane consistait en des écrans géants placés en fond de scène projetant formes et couleurs en synergie avec la musique. C’est un élément fondamental du voyage hypnotique.
Si nos interlocuteurs sont unanimes pour dire que le LSD a accouché de l’acid rock (terme pour le moins explicite), Barry Melton, qui jouait la guitare dans Country Joe & The Fish, tient à nuancer : « Le rock des sixties a surtout associé la musique folk à l’esprit du jazz. Cela a créé une nouvelle forme d’improvisation dans la musique populaire ».
Cette nuance apporté par Barry Melton est significative du décalage qui existait déjà à l’époque entre les groupes du centre ville et le campus de Berkeley (d’où vient le Country Joe).
Si Haight Ashbury se perdait joyeusement dans l’exploration de certains niveaux de conscience, Berkeley craignait les dérives de cet hédonisme. Comme perdre pied et négliger la cause politique. Ce qui n’était pas totalement faux.
Le San Francisco sound
L’embryon du San Francisco Sound se forme en 1965 avec The Charlatans, puis The Warlocks qui devient The Grateful Dead. Jerry Garcia joue du blues avec Bob Weir et Ron « Pigpen » McKernan. Le groupe accueille le bassiste Phil Lesh et deux batteurs, Bill Kreutzmann et Mickey Hart, une première ! Leurs duos de batterie sont devenus légendaires, dépassant parfois trente minutes.
Martin Balin rêve de monter un groupe après un concert des Byrds à Los Angeles et lance le Jefferson Airplane. Avec Jorma Kaukonen, Bob Harvey, Paul Kantner, Signe Toly et Skip Spence ils deviennent LE groupe du club Matrix sur Fillmore Street, rapidement repéré par la presse.
Le groupe Quicksilver Messenger Service suit le mouvement avec les chanteurs Dino Valente et Jim Murray, les guitaristes John Cipollina et Gary Duncan et le bassiste David Freiberg..
Freiberg et Valente auront une période d’absentéisme, emprisonnés pour possession de drogues.
Tous ces musiciens se connaissent bien, ils ont tous un background folk. Trois groupes amis au point de former une communauté baptisée Triad.
Jacky nous raconte que cette communauté organisait les concerts au Carousel Ballroom, futur Fillmore West. « On a été les premiers à faire jouer Johnny Cash et BB King… C’était merveilleux ! »
A l’évocation du Triad, John McEntire éclate de rire : « Oh putain ! Oh oui on organisait des concerts, on se tirait avec la monnaie et on allait s’acheter un énorme paquet de marijuana. C’était la belle époque ! »
La discussion prend un tour amusant. J’entends des histoires de réunions enfumées et de tête enfouie dans la moquette au milieu de sachets d’herbe.
Ce sont les groupes du Triad qui ont inauguré les acid tests, ils ont joué sur les deux scènes mythiques gérées par Chet Helmes (Avalon Ballroom) et Bill Graham (Fillmore). Si le premier est un hippie accompli, le second est un businessman retors.
Jacky : « Au début, personne ne respectait Bill parce qu’il n’était pas assez hippie mais finalement c’est lui qui a su maintenir le fil de l’histoire. »
D’autres artistes sont régulièrement à l’affiche des acid tests : The Great Society (le premier groupe de la chanteuse Grace Slick), Big Brother & The Holding Company (le groupe de Janis Joplin), Steve Miller Band et Carlos Santana.
"Affirmer que l’ambiance des concerts était exubérante serait en dessous de la vérité : l’enthousiasme était délirant. On avait l’impression d’être reliés par un courant électrique auquel chacun prenait part."
Sam Andrew
Sur le campus de l’université de Berkeley une scène moins populaire gravite en marge, stylée garage rock. Country Joe & The Fish est le seul groupe qui fait le lien entre l’intellectualisme universitaire et l’âme folle de Haight Ashbury. Avec « Feel like I’m fixing to die », le groupe souhaite sensibiliser l’opinion pour faire cesser la guerre au Vietnam. Le chanteur Country Joe est aussi un grand consommateur d’acide et laisse des marques sur « Bass Strings » et « Section 43 ».
C’est le début du protest song, même les anciens beatniks se mobilisent dans les manifestations.
Une douce utopie
Julia et ses amis nous expliquent que l’utopie hippie a duré deux ans. En 1966, dans le quartier de Haight Ashbury, la grande famille hippie vit dans un esprit communautaire à un point que ne connaîtront pas les quartiers pourtant très cool de Venice Beach à Los Angeles et Greenwich à New York.
C’est le paradis sur terre jusqu’à ce que tout parte en vrille. Abondance de curieux, touristes et fugueurs ; exploitation commerciale du mouvement ; effets catastrophiques de la drogue.
Le psychédélisme se décline à toutes les sauces (mode, style de vie, art) partout dans le monde. Barry Melton regrette que la plupart des représentations de cette période soient superficielles. John McEntire complète le propos : « Le psychédélisme est devenu une mode mais ça ne l’était pas au départ ni à son paroxysme. Ce sont les médias qui ont déformé l’image en exploitant son aspect « sensationnel ». Nous l’étions à certain degré mais nous n’étions pas superficiels. »
A leur avis, pour quelle raison le mouvement hippie a t-il fasciné le monde ?
Pour son « côté romantique » répond spontanément Jacky avec un sourire.
John pense qu’il s’agit plutôt de la révolution des moeurs : « Notre attraction venait principalement du fait qu’on vivait différemment ; on projetait une autre vision de la famille, on essayait d’être loyaux et d’échanger davantage en profondeur. C’était une époque incroyable autant pour la musique que le mode de vie. »
Haight Ashbury a en effet cristallisé à partir de 1965 les principales idées revendiquées par la beat génération : l’amour libre, le rejet de la violence, la création libre et spontanée, le refus du confort, l’exploration de la conscience, la spiritualité. Tout cela dans une fusion de l’égo, et ça c’était nouveau. De quoi provoquer une attraction chez tous ceux qui recherchaient autre chose qu’une société de consommation.
Cette quête d’absolu contrastait au grand jour avec Los Angeles, coincée et superficielle.
Les deux villes se regardaient d’un mauvais oeil.
« Il est vrai que ce n’était pas très sympathique entre nous, admet John en riant, j’adorais pourtant les Doors, même si certains disaient qu’ils étaient trop décadents ! C’est juste qu’on avait une manière de penser différente. L.A était superficielle, nous étions funky ! »
A Los Angeles, Barry Melton admet pour sa part avoir adoré les Byrds : « C’est le premier groupe psychédélique que j’ai connu, ils jouaient sur Sunset Street. C’étaient des folks singers qui expérimentaient beaucoup de drogues. »
Il évoque aussi Frank Zappa mais en demi-teinte. « Ses shows étaient ennuyeux à mourir. C’était un jazzman génial mais il était trop abstrait pour que les jeunes puissent le comprendre. Cela dit, en studio c’est autre chose, j’ai écouté « Joe’s Garage » quelque chose comme 500 fois, c’est brillant. »
Les festivals deviennent populaires. L’affiche du Monterey Pop Festival en 1967 réunit les plus grands noms américains et anglais. Il y a les divers groupes de San Francisco mais aussi Jimi Hendrix Expérience, The Who, Otis Redding, Simon and Garfunkel et Ravi Shankar.
Julia : « C’était le festival le plus authentique, les gens posaient des fleurs autour des policiers, les vibrations étaient vraiment bonnes, on était au printemps 67, tout le monde était heureux. »
Le festival de Woodstock, deux ans plus tard, rentre dans l’Histoire.
Et pourtant, pour nos artistes ce ne fut pas le moment le plus dingue.
Barry : « Ce dont je me souviens c’est qu’il y a eu l’orage et la pluie et que Joe Cocker est passé avant nous, ce n’était pas mon jour ! Je reconnais l’intérêt du documentaire socio-historique mais il y avait beaucoup d’autres festivals et de belles occasions de jouer. »
John : « Ce n’était pas un événement musical mais l’événement d’une communauté. Je ne le dénigre pas, c’était une expérience merveilleuse. Mais je me souviens surtout que lorsque le Dead a joué c’était horrible, à sa sortie de scène je ne pouvais pas regarder Jerry dans les yeux, ils avaient été si mauvais… Il est venu me voir en me disant : c’est bon de savoir que tu peux foutre en l’air le plus important concert de ta vie et t’en foutre. Hahaha qu’est-ce que j’aimais ce mec ! »
L'avenir du Triad
Les vétérans de l’époque, du moins ceux qui ont survécu, n’ont cessé de jouer depuis. Avec quelques pépins plus ou moins graves en route.
Jerry Garcia défaille dans les années 80 à cause de son excès de drogue dure et d’alcool, il ne sort pas indemne d’un coma diabétique. Il ne sait plus jouer de guitare et doit tout réapprendre. Le guitariste finira par succomber d’une crise cardiaque en 1995. C’est la fin du Grateful Dead. C’est alors un drame national. « On dit qu’il y a une tête du Dead dans chaque bureau du pays » nous dit Jacky. John a eu le sentiment de perdre son pilier. « Jerry, c’était l’esprit du groupe ; Jerry c’était le mec le plus intelligent que j’aie connu. Le plus étonnant c’est qu’il pouvait énoncer le plus simplement du monde les idées les plus complexes. C’est aussi le musicien le plus génial à mon sens, bref quand il est mort le sens même de la famille s’est brisé. »
Les autres membres du Grateful Dead ne s’arrêtent pas pour autant de jouer. Bob Weir et Phil Lesh forment le groupe Rat Dog mais selon John, il n’est plus actif, les musiciens jouent seulement à droite à gauche avec des amis. Le batteur Mickey Hart lance Further, en référence au bus de Ken Kesey et des Merry Pranksters qui s’appelait comme ça.
Il est arrivé que ce noyau dur reforme le Dead en certaines occasions scéniques sous le nom de The Other Ones en 1998, en référence à une chanson écrite peu après la mort de Neal Cassady.
Le Jefferson Airplane s’est dissout au début des années 70, pour renaître d’un côté sous la forme de Jefferson Starship (Paul Kantner et Grace Slick rejoints par David Freiberg et Craig Chaquico) et Hot Tuna (Jack Casady et Jorma Kaukonen)
Jacky, qui a toujours des nouvelles de Jorma Kaukonen, nous informe qu’il a ouvert une école de musique dans l’Ohio, Furpeace Ranch. « D’illustres musiciens viennent enseigner. Il y a un bon esprit et pas de drogue. » Les profs ont pour noms Tommy Emmanuel, Spencer Bohren et David Bromberg. Les leçons sont axées sur l’apprentissage du fingerpicking, du bluegrass, du blues et du folk.
David Freiberg, lui, continuait de jouer aux côtés de Paul Kantner avec le Jefferson Starship, jusqu’au décès de Paul le 28 janvier 2016. Le Jefferson Starship était toujours suivi par beaucoup de personnes de la génération par nostalgie.
Barry Melton nous présente son nouveau disque avec humour en français: « Voici mon cd français, ce disque c’est la nouvelle musique psychédélique ! »
Barry est devenu avocat mais il n’a pas arrêté de jouer ; il vient parfois jouer en France. A propos il a enregistré ce nouvel album en France avec Christophe Rossi. « Ma première femme était française, j’ai beaucoup de connexions dans votre pays. » Musicalement il se voit plutôt jazzman.
Aujourd’hui il n’a plus de connexion avec Country Joe. « Il est en voie de guérison de l’alcoolisme. Je suis content de ne pas être descendu aussi bas. »
Est-ce que ce métier lui manque ? « Vous savez, certains sont morts, certains ont gagné de l’argent et nous on a joué ensemble. Je veux dire on a passé tellement de temps ensemble ! Peut-être trop… L’argent n’est pas quelque chose de naturel pour un musicien, l’essentiel se joue à un autre niveau. En tous cas je n’ai jamais joué de musique pour en vivre. »
Barry nous fait comprendre qu’il ne veut pas vivre dans le passé. John approuve avec cette phrase de Bob Dylan : « La nostalgie c’est la mort ! »
Un jour de 2011 à San Francisco
Curieux de savoir ce qu’il en est à San Francisco aujourd’hui, nous demandons à Julia s’il y a des événements. L’esprit des sixties revient. Elle évoque un festival à Santa Rosa dont s’occupe son mari, l’Harmony Festival. « Organic food, massages, musiques psyché, j’encourage mon mari à développer ce festival ! De nombreux événements de ce genre apparaissent et marchent bien. »
Nous rencontrons le fils de Julia, Jack. Il a 20 ans et fait partie du groupe Mama Muerte. Pour lui, la mode du moment ici, c’est le heavy metal très technique. Jazz, classique et folk sont moins populaires.
Et la musique psyché ? « On adore aussi la musique psychédélique. Dans notre groupe, il y a deux guitaristes de metal et le fait de jouer avec eux permet de créer un pont entre la musique psyché et le powerful metal, en fait on joue du mathmetal psychédélique. Bien sûr on s’inspire des visionnaires car ils ont révolutionné la musique mais on aimerait aller plus loin. »
Patrick et moi faisons remarquer à Jack qu’on a eu l’impression d’entendre les Doors en jetant une oreille à leur dernière répétition.
« Beaucoup de mon inspiration vient des Doors et certaines de nos chansons sont très longues. Grandir ici, au milieu de Grateful Dead, Jefferson Airplane et Janis Joplin, c’est finalement le bon endroit pour jouer électrique. Bob Dylan a ouvert la voie au Newport Folk Festival bien avant la révolution des sixties. Il y a toujours eu une folle quantité de groupes dans la baie et ce n’est pas étranger à ce qui s’est passé à l’époque. Cela a changé nos vies mais les temps ont changé. Même si Haight Asbury est aujourd’hui un quartier « un peu déprimant » il se passe toujours quelque chose, comme ce joueur de saxo qui joue pendant des heures. Quand on regarde en arrière on se dit que ces idées pacifiques ne sont pas allées bien loin. Dans les années 70 on avait beau avoir de belles idées il fallait retourner bosser. Ok, chacun devrait respecter son prochain et essayer d’être le plus gentil possible mais c’est beaucoup de boulot ! »
Lorsque nous le quittons en lui disant que nous partons le lendemain pour le salon du NAMM de Los Angeles sa réaction est immédiate : « L.A sucks ! » (L.A pue! »).
Nous avons terminé cet entretien autour d’un délicieux et chaleureux diner. Merci encore à Julia pour son accueil et sa gentillesse.