A la rencontre des fantômes 2.0
La Gaieté Lyrique présente une exposition originale et intrigante qui reprend le mythe du fantôme pour questionner nos vies numérisées. De la maison hantée au fantôme 2.0 qui sous-tend l'omniprésence du numérique (wifi, champ magnétique, internet), comment distinguer le vrai, le faux et l'incertain ? Me voilà embarquée dans un parcours énigmatique. Je ne sais pas du tout à quoi m'attendre et c'est plutôt excitant !
La visite de l’exposition se fait en cinq étapes. On traverse tout d’abord Les Ténèbres, une suite de salles plongées dans l’obscurité qui nous rappellent l’atmosphère des maisons hantées.
Dans la première salle se trouve une installation interactive qui stimule l’imaginaire par le toucher : Metamorphy, Scenocosme de Grégory Lasserre et Anaïs Met Den Ancxt.
Un voile crée des nuées lumineuses dès qu’on l’effleure, l’effet visuel est bluffant, on a l’impression d’interagir avec sa propre énergie. Voilà de la science qui simule du paranormal.
Si cela continue de la sorte, je devrais rencontrer un fantôme .
J’emprunte un couloir, toujours dans le noir, à tâtons, et là incroyable, on me propose de rencontrer mon propre fantôme. Je n’en espérais pas tant ! « Spectres » inventé par Malte Martin provoque un petit frisson de plaisir en nous mettant face à face avec notre spectre grâce à un miroir numérique. Voilà ce que ça peut donner, vite fait (pas évident de filmer son propre fantôme).
Je continue ma route, attirée par une main lumineuse dessinée au mur, toujours dans le noir. C’est un signe. Puis une inscription : Donne moi ta main. Il faut passer sa main au travers d’une fente. Brrr. L’effet est déroutant, notre main se déforme, hideuse, mais c’est amusant. Augmented Hand Series connecte automatiquement notre main à l’algorithme, le résultat est complètement onirique.
A la frontière de l'inexplicable
Je m’engage ensuite dans la Chambre Rouge, un univers à la Tim Burton. Pas grand-chose dans la pièce, un miroir, un canapé… Tiens un téléphone ! Il n’attend que moi puisque je suis seule.
Objet factice en main, je me dis qu’il est vraiment utilisé par les chasseurs de fantômes. Il s’inspire des plans de Frank Sumption pour capter les voix de l’au-delà en temps réel sur nos fréquences radio. Cela s’appelle une « Ghost Box » ou « Spirit Box ».
Dans cet espace qui se trouve à la frontière de l’inexplicable, je me dirige vers une structure circulaire, le « Oui Ja ». Il est censé déchiffrer les morts selon son concepteur Mathieu Schmitt.
J’apprends que cet appareil interprète les signaux radio captés sur la fréquence Jurgenson (1485 kHz), c’est une fréquence trouvée par Friedrich Jurgenson (peintre et cinéaste suédois), apparemment c’est la plus pertinente pour parvenir à capter des messages de l’au-delà.
Le bras de l’appareil tourne sur lui-même et indique plusieurs types de messages, une lettre, un chiffre, « oui », « non », « au revoir ».
J’en ai profité pour poser une question à un proche défunt mais je n’ai pas eu de réponse. Rien n’a bougé. Pendant un certain temps. Peut-être que la notion de temps chez les défunts n’a rien à voir avec la nôtre.
J’ai beaucoup aimé ce tourbillon, mouvement d’eau perpétuel et hypnotique. C’est le « Kyklos » de Charlotte Charbonnel. Il met en scène l’oeil du cyclone.
Personnellement, cela m’évoque la porte d’entrée vers un monde parallèle !
En parlant d’univers parallèle, il ne faut pas non plus passer à côté de l’oeuvre de Karolina Sobecka : All The Universe is Full of the Lives of Perfect Creatures. Alors qu’on s’observe dans un miroir interactif, un hologramme de créature animale surgit et joue avec notre reflet si on se prête au jeu (il reprend nos mimiques). Par là, l’artiste nous dit qu’il peut être illusoire de croire qu’il existe une frontière bien nette entre soi-même et l’extérieur. Autrement dit, nous héritons comme d’autres animaux d’un processus inconscient qui est à la source de l’empathie et d’une communication non verbale.
Dans la salle de contrôle
On regagne ensuite la lumière vive et reprenons le parcours en direction de la salle de contrôle.
On se dit que le fantôme qui rôde dans les coulisses du numérique est cette fois bien réel, et il n’a qu’une obsession : nous scanner, nous répertorier, nous surveiller.
Le sentiment est soudain oppressant.
Ça commence avec cette inscription en temps réel lorsque je m’approche d’un grand écran et que je reste un petit moment plantée devant. Quelque chose est en train de me capter et de l’écrire.
C’est bien moi qui « observe » et « examine ».
Ce dispositif est en réalité un algorithme qui nous regarde vraiment à l’aide d’une caméra, d’un système perceptif et d’un système cognitif interprétatif. « Psychic » d’Antoine Schmitt est comme une créature invisible craintive qui tente de comprendre ce qu’elle perçoit.
Evidemment, on s’interroge sur le rôle et l’impact des technologies et des machines.
Si d’un côté elles nous permettent d’approcher l’invisible, de l’autre elles nous emprisonnent dans une omni-surveillance.
Une imprimante matérialise en temps réel le passage des visiteurs. C’est la Database, elle capture la photo de chaque individu et inscrit son jour et heure de passage ainsi que ses faits et gestes.
En observant la place occupée par le papier imprimé et archivé sur des étagères depuis le début de l’expo, on réalise l’ampleur des données prises à notre insu.
Le processus caché des algorithmes de surveillance qui s’opèrent en permanence sur internet et ordinateur est mis à jour. Pas rassurant !
Un peu plus loin, une table attend que l’on prenne place afin de jeter un oeil au cahier « Affaires non classées » qui relate l’expérience d’images-fantômes dans les locaux de la Gaîté Lyrique. Tout en jouant sur l’ambiguïté, on nous alerte sur le caractère faillible des technologies.
On peut aussi visionner de courts films réalisés par des artistes-traqueurs de fantômes numériques, l’un a notamment matérialisé les ondes wifi (les murs de wifi donnent à la ville une autre architecture).
La suite du parcours nous invite à nous tenir debout au coeur du système Sensible 1.0 de Bram Snijders. La machine capte notre matière numérique dans l’espace physique, elle enregistre nos coordonnées 3 D et les retransmet en simultané sur notre corps.
Une manière d’envisager notre existence virtuelle !
Se rendre invisible
Le dernier espace est un bunker à l’univers futuriste. On y trouve de quoi devenir soi-même un fantôme (un « extra fantôme ») pour échapper au radar des machines. Intéressant !
Bien, alors comment ?
Opter par exemple pour l’un des vêtements d’Adam Harvey (hoodie, hijab (!!), burka (!!), casquette) pour disparaître aux yeux des caméras dites thermiques et des drones.
Se rendre invisible aux yeux de la surveillance génétique avec « Invisible » de Heather Dewey-Hagborg, un sérum qui efface les traces ADN. Un projet artistique commercialisé 230 dollars !
On croise aussi une série d’objets conçus pour nous protéger des ondes radios, tel « le tente-bouclier jetable ». Less.fm conçoit et commercialise ce genre d’outils pour nous protéger des éventuels méfaits des nouveaux moyens de communication.
Je regagne la sortie avec le sentiment d’avoir été cernée par une multitude d’énergies invisibles. Extra Fantômes joue sur la constante ambiguïté entre science et mystère inexpliqué. Si certaines de ces énergies échappent à toute rationalité et évidence, d’autres sont bien réelles et procèdent de notre intelligence (nouvelles technologies).
Ludique, amusante, créative, mystérieuse et immersive, l’exposition Extra Fantômes fait avant tout appel à notre imaginaire et à notre sensorialité. Vraiment extra !
Exposition Extra Fantômes, les vrais, les faux, l’incertain.
Gaîté Lyrique, 3bis rue Papin, 75003 Paris.
Jusqu’au 31 juillet 2016. Tarif : 7,50€.