Le Grand Palais a rendu un bel hommage aux peintres mexicains du début du XXe siècle. Parfaite pour les novices, l'exposition présentait "les trois grands" peintres de la modernité : Diego Rivera, José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros. Le Mexique alors sous haute-tension bascule en 1910 dans la révolution et se cherche une identité. L'oeuvre picturale de la période nous en dit long sur la profondeur de la crise.
Tradition et modernité
Je m’introduis dans la première salle d’exposition et c’est d’emblée une réjouissance. Lumières douces, couleurs délicates ; c’est élégant, me voilà sous le charme des premières toiles de Diego Rivera et Roberto Montenegro. L’esthétisme puise son inspiration dans l’académisme du XIXe siècle, à l’image de La Veillée funèbre, un grand format réalisé dans les règles du réalisme par José Maria Jara et primé d’une médaille de bronze à l’Exposition universelle de Paris en 1889.
Historiquement, le Mexique vient de s’émanciper de l’Espagne (1821). A l’époque, il est primordial de recréer un solide sentiment d’union nationale. C’est en partie pour cela que les peintres représentent le peuple mexicain dans toute sa diversité. Du portrait de famille oligarque à la scène de prière dans une chapelle, d’un monde à l’autre, le Mexique se découvre sous les traits du naturalisme.
Dans sa volonté de promouvoir l’art, le gouvernement alloue des bourses à des artistes diplômés de l’Académie San Carlos pour se rendre en Europe. Au contact de l’avant-garde française, ils sont quelques uns, parmi les meilleurs, à réinventer les styles de l’époque comme le cubisme ou le symbolisme. On retient essentiellement les noms de Rivera, Zarraga et Montenegro. Chez Angel Zarraga, on se souvient des colorés Poétesse et Corne d’abondance.
La révolution de 1910
Les peintres mexicains sont pour la plupart déjà de retour d’Europe lorsqu’éclate la révolution politique de 1910. Cette révolution, suite de conflits armés et de coups d’Etat, douloureuse guerre civile longue de dix ans, est au coeur de la construction identitaire du Mexique.
C’est une période sanglante qui bouscule tous les schémas. Si au départ elle est enclenchée par un appel à l’insurrection contre la réélection à la présidence de Porfirio Diaz par le grand propriétaire terrien Modero, elle s’avèrera finalement portée par la lutte des paysans pour la défense de leur terre (sous la direction d’Emiliano Zapata). Au fil des années, la rébellion paysanne peine à se trouver une direction cohérente et centralisée. C’est finalement le bourgeois Venustiano Carranza – arrivé à la présidence du pays en 1917 – qui parvient à déposer une nouvelle Constitution avec en son coeur une réforme agraire. Même si une grande partie des terres fut distribuée aux paysans, la bourgeoisie reste la grande gagnante de la révolution. L’oligarchie corrompue qui dirigeait jusqu’alors le pays fut quant à elle terrassée.
L’art de la période trouve son inspiration dans l’histoire et le langage de la révolution. Il prend le parti du muralisme pour se rendre public, donc populaire. Les murs se voient investis de fresques, des mises en scène de l’histoire, avec de nouveaux matériaux, essentiellement au travers de trois noms : Diego Rivera, José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros.
Diego Rivera
Diego Rivera est très impliqué. Il voit dans l’art le vecteur de l’idéal révolutionnaire et crée un langage esthétique au service de son utopie nationale et socialiste. D’où le soin porté à représenter le peuple mexicain indien et métis et à souligner le sentiment d’appartenance et de fierté nationale.
Parmi son oeuvre trône son « trophée mexicain » : Paysage Zapatiste, une composition cubiste donnant à voir la nationalité mexicaine sous la parure du révolutionnaire. On retient aussi le portrait de l’écrivain avant-gardiste espagnol Ramon Gomez de la Serna.
Diego Rivera n’est pas le seul à s’adonner à la représentation de l’indien pour témoigner de l’empreinte nationale. On retient Indiennes un jour de marché de Francisco Diaz de Leon, Indienne d’Oaxaca de Ramon Cano Manilla et La fille à la perruche de Carlos Merida. Les artistes sont nombreux à revendiquer le métissage comme une particularité du Mexique. Le mexicain dans son travail quotidien est un sujet cher à Diego Rivera. La Molendera évoque la confection des tortillas avec une femme préparant la pate de maïs sur un métate. Il fait écho au puissant Femme au Metate de Siqueiros.
Diego Rivera aime aussi partager le concept d’un paradis perdu, celui d’un peuple spirituel vivant au contact étroit de la nature (ici symbolisée par la fleur Arum, d’origine africaine, fréquemment employée dans l’iconographie des rites religieux). Jean Charlot nous donne une vision de la fête dans La Danse des malinches.
José Clemente Orozco
Chez Orozco, le pinceau s’inspire du sentiment d’horreur né de la révolution. La violence est clairement au centre de son oeuvre, à l’image du tableau Tête fléchée. Il a su peindre la réalité de la mort tout comme Francisco Goitia et son Tata Jesuschristo qui fait de la révolution une tragédie plutôt qu’un espoir. Son oeuvre se compose essentiellement de fresques murales d’inspiration expressionniste, concentrée sur quelques thèmes comme la guerre, la mort et la violence du conflit entre l’homme moderne et la machine.
David Alfaro Siqueiros
David Alfaro Siqueiros, autrement appelé « El Coronelazo » (il a participé à la lutte armée), a voulu faire de son oeuvre une tribune pour la lutte ouvrière. L’art est en effet pour lui le moyen de diffuser la pensée critique. Joignant l’acte à la parole, cet acteur majeur du Mouvement muraliste s’efforça de diffuser les techniques qu’il utilisa dans son travail.
Pleine de sens, la toile ci-dessous, intitulée Mort et funérailles de Cain, s’empare d’un thème biblique pour mettre en perspective l’agonie du capitalisme symbolisé par le poulet mort.
Les trois oeuvres suivantes sont impressionnantes, de grande taille, réalisées avec de la pyroxilyne sur du celotex et de la fibre de verre.
Les femmes, de la lutte armée à l'engagement artistique
La suite du parcours nous invite à rencontrer des femmes. Des femmes fortes qui ont eu leur rôle pendant la révolution ; en l’absence de leurs maris partis à la guerre, elles ont pour certaines participé à la lutte armée, pour d’autres laissé leur trace dans l’éducation et la culture.
On aime l’autoportrait d’Olga Costa. Elle est l’une des artistes choisies pour décorer les murs des édifices publiques. Comme sur la fresque Motifs sur l’eau à Cuautla, au sud de Mexico. D’autres femmes exécutent volontiers leur autoportrait, chacune dans leur style. L’enseignante et journaliste Maria Izquierdo, très impliquée pour le droit des femmes, a intégré dans son oeuvre les éléments de la culture indienne (bijoux, coiffures, parures).
Maria Asunsolo est une grande mécène qui a été immortalisée par son ami Siqueiros alors qu’elle descendait un escalier. C’est la femme la plus portraiturée à l’époque. Carmen Mandragon alias Nahui Olin, poétesse, musicienne et peintre, appelée ainsi par son amant Gerardo Murillo, fut également la muse de Diego Rivera, Edward Weston et Roberto Montenegro. Elle est représentée avec une jolie tête blonde et des yeux bleus perçants. L’exposition nous fait profiter de quelques uns des tableaux de Nahui, exécutés dans un style naïf, bien que de son vivant son travail n’ait pas vraiment été reconnu.
Puis il y a Frida Kahlo, devenue mondialement célèbre, avec ce style singulier au croisement de la tradition et de la modernité. « Un style qui emprunte au surréalisme » selon André Breton même si elle entend rester libre de toute influence.
Les autres visages de la peinture mexicaine
L’exposition n’oublie pas d’évoquer d’autres courants esthétiques de l’avant-garde de l’époque, un peu éclipsés mais tout de même à connaître. Le plus important est le stridentisme, avec comme chef de file le poète et diplomate Maniel Maples Arce, d’influence dadaïste. Le stridentiste est tourné vers l’avenir, les villes, la technologie, et connaît plusieurs modes d’expression (musique, photo, peinture, gravure, littérature). Quelques noms à retenir : Ramon Alva de la Canal, German Cueto et Fermin Revueltas.
Les grands artistes mexicains sont sollicités par les Etats-Unis pour des expositions ou des commandes de fresque.
A une époque agitée, le gouvernement de Franklin Roosevelt décide même de reprendre le principe fondateur du muralisme pour concevoir son Federal Art Project : faire de l’art le porteur d’un message et stimuler la conscience collective.
Inversement, à l’aube de la seconde guerre mondiale, le Mexique devient une terre refuge pour les artistes nord-américains et européens, encourageant de fait les associations singulières (ce qui fut le cas pour le surréalisme et le réalisme magique).
Antonin Artaud et André Breton s’installent à Mexico, et une exposition internationale du surréalisme se tient à la galerie d’Art Mexicain, pour un mélange des genres osé (surréalisme européen et art préhispanique). Un art hybride est en gestation, avec les artistes Rufino Tamayo et Miguel Covarrubia. Dans la mouvance surréaliste, se distinguent Carlos Merida, Mathias Goeritz, Alice Rahon et Juan O’Gorman.
En définitive, même si l’art mexicain s’est largement inspiré de l’avant-garde internationale, il conserve une puissance d’évocation singulière et très attractive.