The Velvet underground,
noire extravagance
La Philharmonie de Paris rend hommage au cultissime Velvet Underground avec l’exposition "New York Extravaganza". Au coeur de la contre-culture américaine qui se développe en pleine guerre du Vietnam, New York révèle un groupe sulfureux et transgressif dont les mélodies addictives traversent le temps avec élégance. Le Velvet Underground passe en coup de vent de 1965 à 1970 mais laisse une empreinte énorme.
« Amérique, quand finirons-nous avec la guerre humaine ?
Va te faire foutre avec ta bombe atomique. Je me sens mal, fous moi la paix. »
C’est avec ces mots du poète Allen Ginsberg que nous entamons notre déambulation dans l’espace d’exposition.
Ambiance. Celle du New-York des années 60. Lou Reed, John Cale, Moe Tucker, Sterling Morrison et Nico évoluent dans le village que constituent alors les quartiers de Greenwich et Lower East Side. C’est là que bohèmes, idéalistes et libertaires se côtoient jour et nuit, envisageant la possibilité d’un autre monde.
La scénographie de l’exposition nous invite au voyage (ou au parcours initiatique, c’est selon notre degré de familiarité avec le Velvet). Allen Ginsberg récite les vers du poème America tandis qu’un mash-up visuel conçu par Jonathan Caouette (pubs, films, news) nous rappelle l’Amérique des années 60, son « standard de vie » et ses contestations.
Sur le mur de gauche, une frise de photos fait défiler sous nos yeux curieux le village de la beat génération et ses acteurs. Cette belle série revient au photographe Fred McDarrah pour l’hebdomadaire contestataire Village Voice.
La vie du quartier se compose de Ed Sanders, Woody Allen, Bob Dylan, Martin Luther King, Malcolm X, Ornette Coleman, Charles Mingus, Robert Rauschenberg…
Tous portent la voix avec conviction et enthousiasme, qu’elle soit artistique et/ou politique.
Dans cette première salle, on remarque aussi plusieurs structures en bois surmontées d’une figurine carton : Lou Reed, John Cale, mais aussi les autres. Plus loin en effet, le même totem se dresse à l’effigie de Sterling Morrisson, Maureen Tucker, Allen Ginsberg, Andy Warhol, La Monte Young, Gerard Malanga… L’idée est de prendre un moment avec chacune des personnalités ayant fait partie du cercle du Velvet à l’aide de son et d’un cahier de photos. Le puzzle prend forme au fur et à mesure de la visite.
Le Velvet Underground c’est avant tout la rencontre étonnante de deux mecs qui n’ont a priori pas grand-chose à voir : John Cale et Lou Reed.
John Cale vient de la classe populaire protestante du Pays de Galle, enfance paisible, long cursus de musique (violon, piano, guitare), il se destine à devenir chef d’orchestre et part à New York. Rapidement, là-bas, il croise la route de La Monte Young, Tony Conrad et Angus MacLise, avec lesquels il plaque tout pour vivre les joies du minimalisme ; une seule note leur suffit à s’éclater pendant une heure (ex : « Summer Heat » de Dream Syndicate).
Le principe est le drone (ou note bourdon), tenu pendant un temps très long, avec très peu de variations harmoniques.
Après des années de conservatoire, c’est un drôle de revirement.
Al’aide d’un casque audio fourni à l’entrée de l’exposition, on peut tendre une oreille à cette période expérimentale trippée/décomplexée.
Un aperçu ci dessous de l’album « Day Of Niagara » du Dream Syndicate. C’est une expérience.
Musique méditative, écorchure auditive, c’est selon.
On perçoit ce que John Cale a pu apporter au Velvet, son sens aigu de l’expérimentation et son obsession pour le travail du son.
Lou Reed, lui, vient de la moyenne bourgeoisie juive de Brooklyn et sa jeunesse n’est pas toute rose. Enfant, il recourt aux opiacés pour soigner son asthme ; adolescent, il subit des électrochocs. C’est du lourd.
La famille panique devant le caractère difficile et habité de ce jeune homme en proie à la dépression nerveuse.
Face au documentaire d’Allan Rothschild projeté sur grand écran, on écoute la soeur de Lou nous relater cette jeunesse tourmentée.
Trois mois après leur rencontre, Lou Reed et John Cale ne cessent de jouer, alors le premier emménage naturellement dans l’appart du second dans le Lower East Side. Ils ont vingt deux ans et sont fous de rock’n’roll. Lou Reed écoute aussi Archie Shepp, Carl Perkins, John Coltrane, Iannis Xenakis, Ornette Coleman… et s’abreuve de littérature.
Lou et John adhérent tous deux au collectif de musique concrète Fluxus, un mouvement avant-gardiste influencé par le courant Dada.
Au minimalisme pratiqué par John Cale, Lou Reed préfère le format chanson et le rock tout simplement. « The Ostrich » avec The Primitives (pré-Velvet) marque un style.
Lou a déjà écrit « Heroin » et « Waiting For My Man », il les joue à l’époque d’une façon folk. On peut d’ailleurs écouter ces versions primitives sur une borne audio.
John Cale a fait ses marques au sein du Dream Syndicate mais Lou Reed a aussi eu ses premières expériences de groupe : L.A And the Eldorados, Jades (au Lycée), puis The Primitives (pré-Velvet avec John Cale) que l’on peut écouter au casque.
C’est un bonheur de profiter du premier enregistrement de « Heroin » avec The Falling Spikes (pré-Velvet aussi). Et « The Ostrich » (The Primitives) qui fut le premier succès de Lou en 1964 et dont il fera la promo TV avec les premiers membres du Velvet.
La Monte Young du Dream Syndicate est l’un des créateurs du mouvement Fluxus et l’un des pionniers de la musique minimaliste. Le parcours du son dans la durée, la non-détermination dans la composition, c’est ce qu’il cherche à étudier dès 1958 avec l’album Trio For Strings.
Au minimalisme pratiqué par John Cale, Lou Reed préfère le format chanson et le rock tout simplement. « The Ostrich » avec The Primitives (pré-Velvet) marque un style.
Lou Reed et John Cale se rajoute un élément féminin, pour ne pas dire androgyne, l’étudiante en littérature Moe Tucker. Elle remplace un ami percussionniste qui était de passage, Angus MacLise. Lui aussi était membre du Dream Syndicate. John Cale le qualifiait de « vagabond à la poursuite de son âme ». MacLise est parti vivre au Népal jusqu’à sa mort en 1979.
Ecoutez donc Four Speed Trance pour vous donner une idée de l’étrangeté du personnage.
Sa jeune remplaçante, la batteuse Moe Tucker, se révèle être l’élément apaisant et surtout, elle a un son unique, inébranlable. Vient s’ajouter le guitariste et bassiste Sterling Morrisson, étudiant en littérature médiévale dans la même université que Lou et qui fera partie de l’équipée jusqu’en 1970.
Cette bande d’amis qui deviendra The Velvet Underground fricote avec tout ce qui fait l’essence de Greenwich Village : la poésie décomplexée, le cinema underground, la musique expérimentale.
Entre art populaire et avant-garde, insouciance juvénile et sophistication, la vision de cette jeunesse libérée des tabous effraye la majorité.
Ils font de la colocation et passent leur temps à jouer n’importe où. Le nom du groupe est définitivement choisi le jour où Lou Reed et John Cale tombent sur le titre d’un livre laissé à l’appartement par Tony Conrad. Un traité sur la paraphilie* écrit par Michael Leigh en 1963 (*terme psychiatrique qualifiant les pratiques sexuelles déviantes).
Ils font de la colocation
et passent leur temps à jouer n’importe où.
Pour que le Velvet décolle, il manque un 5e personnage. Et c’est dans une alcôve que l’on se pose pour faire connaissance avec Nico, notamment avec un court film retraçant son parcours. Mannequin pour Ford, actrice conseillée à Andy Warhol par Bob Dylan, elle aussi squatte New York.
Serge Gainsbourg l’a faite chanter, Alain Delon l’a mise enceinte (mais n’a jamais reconnu l’enfant), Fellini l’a mise en scène dans La Dolce Vita. Andy Warhol succombe lui aussi, lui fait passer les Screentests de 1966 et convainc le Velvet de la prendre comme chanteuse.
"J’ai tout de suite senti
qui était Lou Reed.
C’était limpide comme
la lumière du soleil."
Nico
La place accordée dans l’exposition à Andy Warhol, l’entremetteur de cette rencontre, est modérée, à sa juste valeur.
L’identité et le son du Velvet étaient clairement définis avant lui. L’univers du groupe a toujours été décomplexé et obsédé par le sexe, la drogue, la philosophie existentielle. Avec une couleur musicale paradoxale. Claire-obscure.
Andy Warhol leur a ouvert les portes de sa Factory pour les lancer. C’est d’ailleurs là, dans l’atelier, qu’ils font leurs premières répétitions avec Nico. Il avait découvert le groupe au Café Bizarre en décembre 1965. Sous le charme, il avait offert ses services de manager. Bingo !
Lou Reed était fasciné par Nico même s’il n’a jamais envisagé de l’intégrer définitivement au Velvet Underground.
Andy Warhol organise donc le premier concert officiel du Velvet avec Nico le 13 janvier 1966 et il a lieu devant un parterre de psychiatres invités à dîner par la Société New-Yorkaise de Psychiatrie Clinique. Un grand n’importe-quoi.
Le président de la société qualifia le concert de séance de « torture par la cacophonie ».
Le groupe présente son « Exploding Plastic Inévitable » dans tout New York.
C’est le spectacle multimédia vu par Andy Warhol : un concert mêlant light show, improvisations instrumentales, danse et projections de films. Une excellente idée.
Allongez-vous sur un matelas placé sous un « tipi » en bois et profitez en toute décontraction de l’univers de la Factory.
La tête en l’air on se perd dans les clips vidéos, docus et planches photos alors que la sono rejoue les classiques (« Heroin », « Waiting For My Man », « Sunday Morning », « Femme Fatale »…). Vraiment top. Quand tu réalises pleinement leur magnétisme.
Le docu « Banana Story » revient sur l’affaire de la banane illustrant le premier album en avril 1966 : un symbole phallique d’érection ? Jamais dit clairement mais évident.
La suite du parcours nous familiarise avec d’autres acteurs : le sérigraphe Gerard Malanga, la muse Edie Sedgwick (la muse de « Femme Fatale »), le maître d’oeuvre des lumières, Danny Williams.
Un totem est consacré au sexe et une « black room » (interdite aux moins de 18 ans) diffuse un film de Barbara Rubin sur des ébats hétérosexuels et homosexuels.
Le sexe et la drogue hantent l’univers du Velvet.
Il y a rupture.
Andy Warhol et Nico s’éclipsent avant le deuxième album qui sera enregistré à la fin de 1967.
La formation initiale prend alors un tournant expérimental et assombrit ses climats.
White Light / White Heat est l’album des tensions.
Le son est brut, grinçant.
Sterling Morrisson y lâche ses talents de guitariste fougueux.
Lou Reed a salué affectueusement Sterling des années plus tard dans le New York Times : « Quand il jouait ses solos passionnés, je voyais toujours en lui un mythique héros irlandais, crachant le feu par ses narines ». Il était « l’âme guerrière du Velvet Underground ».
Co-auteur de trois morceaux forts de l’album (« The Gift », « Here She Comes Now », « Sister Ray » – une impro géniale de 17 minutes), Sterling Morrisson est un élément stable et précieux.
John Cale est très impliqué mais il abandonne lui aussi le navire à la fin de l’enregistrement. Rivalités d’égos et discordances. Lou Reed reste à bord et épanche ses tourments avec des harmonies lumineuses. Il fera appel au polyvalent Doug Yule pour la tournée et l’album suivant en 1969.
The Velvet Underground se passe cette fois de rafales d’électricité, adoucit ses climats. C’est un album plus intimiste, les mélodies sont divines. L’influence de la Factory est toujours manifeste.
D’ailleurs, il est temps de faire une pause dans notre déambulation pour écouter des versions rares de 1968 et 1969 : « Stephanie Says » (avec choeurs et violons), « White Light/White Heat », « Lisa Says », « Coney Island Steeple-Chase », « Guess I’m Falling In Love », « Pale Blue Eyes », « Candy Says », »What Goes On ». Wow !
Le pendant live de cet album reste une référence précieuse.
Tel un dernier sursaut d’énergie collective avant la grande débâcle.
Moe Thucker prend son congé maternité et Lou Reed annonce son départ après un concert à la fin du mois d’août 1970 alors que s’apprête à sortir le quatrième album, Loaded (avec l’irrésistible « Sweet Jane»). C’est vraiment la fin.
L’exposition souffre fatalement de cette traversée éclair dans le ciel des années 60. Mal apprécié de son vivant, le groupe s’éclipse dans l’indifférence générale.
Disposant de moins de documents, la fin du parcours s’accélère, se replie sur des affiches, des boxes et des raretés, tels des enregistrements pirates disponibles dès 1972.
Au moment même où David Bowie remet le Velvet au goût du jour et travaille avec Lou Reed sur l’album Transformer.
L’anthologie VU (inédits) est devenue une révélation et un must have pour toute une génération.
Peu de traces d’oeuvres contemporaines inspirées par le Velvet occupent le dernier couloir.
On passe devant une playlist constituée de reprises mais on ne s’arrête pas, ce sera forcément moins bien.
Alors voilà, le Velvet s’arrête net, et nous laisse un son unique, fugace, qui nous hante encore. C’est une ironie du sort de le voir inscrit au Rock’n’Roll Fame après des années d’indifférence.
La Philharmonie expose avec justesse le cadre de l’existence du Velvet Underground, aussi courte soit-elle. L’histoire de personnalités charismatiques qui sont parvenues à se brancher sur le même secteur pour fonder un groupe sulfureux et magnétique.
EXPOSITION jusqu’au 21 août 2016, Philharmonie de Paris
Tarif : 10 euros
On ressort de cette article avec une furieuse envie de (re)découvrir le Velvet et leurs influences… Merci beaucoup !
Merci de nous avoir remis en tête ces jolies mélodies et nous donner l’envie de les réécouter . Ça fait du bien. Merci Velvet, merci Mélanie.