Van Gogh, les derniers mois
Le musée d’Orsay a encore marqué les esprits, cette fois en consacrant une exposition aux deux derniers mois vécus par Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Un rendez-vous privilégié pour s'approcher des ultimes explorations du peintre, avec une pensée émue qui interroge la nature des sentiments à l'oeuvre.
Vincent Van Gogh prend ses quartiers à Auvers sur Oise le 20 mai 1890. Cela fait quelque temps qu’il ne va pas bien. Il connait des crises de folie au point de désirer être interné ; il reste un an à l’hospice de Saint-Rémy de Provence. Et dans une lettre à son frère Théo le 21 avril 1889, il se confie sur son souhait d’y retourner : « Je me sens décidément incapable de recommencer à reprendre un nouvel atelier et d’y rester seul, ici à Arles ou ailleurs, cela revient au même pour le moment ; j’ai essayé de me faire à l’idée de recommencer, pourtant pour le moment pas possible. » Plus loin dans sa lettre, il exprime tout son malaise, écartelé entre sa peur de la solitude et sa sensibilité extrême au contact des autres. Pour la tranquillité de tous, il préfère alors se retirer du monde. Le peintre a déjà eu des idées suicidaires et traversé huit crises de démence. Il reste marqué par son altercation violente avec Paul Gauguin. Elle lui causa une crise au point de se couper un bout d’oreille.
"Recommencer cette vie de peintre de jusqu’à présent, isolé dans l’atelier tantôt, et sans autre ressource pour se distraire que d’aller dans un café ou un restaurant avec toute la critique des voisins, etc. je ne peux pas ; aller vivre avec une autre personne, fut-ce un autre artiste est difficile - très difficile - on prend sur soi une trop grande responsabilité.
Je n’ose même pas y penser."
Lettre à son frère Théo le 21 avril 1889
Auvers, village refuge
En septembre de la même année, le peintre se jette dans le travail pour s’oublier : « Mon cher frère – c’est toujours entre-temps du travail que je t’écris – je laboure comme un vrai possédé, j’ai une fureur sourde de travail plus que jamais. Et je crois que ça contribuera à me guérir. »
Victime d’une rechute de dépression, le 29 avril 1890 il dit à son frère : « Que te dire de ces deux mois passés, cela va pas bien du tout, je suis triste et embêté plus que je ne saurais t’exprimer et je ne sais plus où j’en suis.» Il pense avoir contracté une maladie du midi et certainement que rejoindre le nord l’aidera à la dissiper.
Vincent rejoint Théo pour un court séjour à Paris et envisage de résider non loin de là mais surtout pas en ville. Le choix d’Auvers est motivé par la présence du Docteur Gachet spécialisé dans le traitement de la mélancolie, lui-même peintre amateur et collectionneur. Le village voit d’ailleurs passer les peintres ; Cézanne, Pissarro, Daubigny ont résidé là, attirés par les bords de l’Oise.
Van Gogh cherche à cadrer son existence pour prévenir la maladie. Il a une peur très forte de la récidive ; il veut se plonger dans le travail et soigner son hygiène de vie. Il investit une chambre au centre du village, à l’auberge Ravoux. « Ce qui me console c’est que je commence à considérer la folie comme une maladie comme une autre et accepte la chose comme telle, tandis que dans les crises même il me semblait que tout ce que je m’imaginais était de la réalité. Enfin, justement je ne veux pas y penser ni en causer. » (Lettre à Théo, septembre 1889).
Van Gogh voue sa vie au travail, à la couleur, à la matière, aux formes ; c’est une quête fondamentale, passionnante, mais qui tout à la fois l’épuise. Gauguin lui écrit le 28 juin : « Et vous, vous êtes insatiable ; je vois que vous n’avez pas perdu de temps à Auvers. Il est bon cependant de se reposer quelque fois l’esprit et le corps.»
De cet extraordinaire sursaut d’énergie naissent en deux mois 74 tableaux et 33 dessins, dont certains sont devenus des chefs d’oeuvre. Le rythme de création est intense. Les compositions annoncent une évolution du style, une envie d’expérimenter de nouveaux cadrages et une autre palette.
Le Musée d’Orsay expose une quarantaine de tableaux et une vingtaine de dessins, selon un parcours thématique. Paysages du village et de la campagne environnante, jardins, portraits et natures mortes.
Van Gogh a un coup de coeur pour Auvers. Il dit que c’est « gravement beau » et qu’il y a « beaucoup de bien-être dans l’air ».
Auvers sur Oise profite en effet d’une situation privilégiée, le village s’étire sur 10 km le long de l’Oise, bordé par des champs ou par des bois. Les maisons modernes et les toits de chaume cohabitent en harmonie. Van Gogh adopte rapidement la chaumière comme un motif récurrent ; il les aborde selon divers angles et atmosphères.
On dispose de 24 lettres qui témoignent du quotidien du peintre et de ses préoccupations. Il parle de son travail, de ses rencontres, de ses besoins matériels, mais il est moins bavard qu’avant.
Le peintre recherche la solitude, il se lève tôt et se couche tôt, peint généralement sur le motif le matin, retouche ses tableaux l’après-midi dans une salle de l’auberge. Il reste dans les environs, limite les rencontres.
Le tableau suivant nous met en situation, à hauteur d’homme, pour regagner le village au crépuscule. L’effet est réussi. Dans une lettre du 24 juin il le mentionne brièvement : « Un effet de soir – deux poiriers tout noirs contre ciel jaunissant. Avec des blés et dans le fond violet le château encaissé dans la verdure sombre. »
Dans une lettre à Théo du 5 juin, Van Gogh partage sa vision de l’Eglise du village d’Auvers qu’il sublime par la couleur.
« J’ai un plus grand tableau de l’Eglise du village – un effet où le bâtiment paraît violacé contre un ciel d’un bleu profond et simple de cobalt pur, les fenêtres à vitraux paraissent comme des taches bleu d’outremer, le toit est violet et en partie orangé. Sur l’avant plan un peu de verdure fleurie et du sable ensoleillé rose. C’est encore presque la même chose que les études que je fis à Nuenen de la vieille tour et du cimetière. Seulement à présent la couleur est probablement plus expressive, plus somptueuse. »
Les jardins
Dans une lettre à Théo du 24 juin, Van Gogh décrit un premier croquis du jardin de Daubigny. Puis il livre le tableau le 10 juillet : « c’est le tableau que je méditais depuis que je suis ici. » Un travail abouti et soigné qui montre toute son admiration pour le peintre. Puis il crée une seconde version du jardin qu’il offrira à la veuve de l’artiste (Jardin à Auvers-sur-Oise) ; l’espace s’est resserré, il est sans horizon et associe une multitudes de signes pour signifier la richesse de la végétation avec une inspiration puisée dans l’art japonais.
Autre jardin, autre lieu familier. Le Jardin du Docteur Gachet est l’un des premiers tableaux réalisés à Auvers. Van Gogh le côtoie chaque semaine et y peint les multiples motifs ; il réalise aussi des portraits du Docteur et de sa fille Marguerite. Il lui offre quelques toiles et en parle à Théo. « J’espère t’envoyer un portrait de lui bientôt. Puis j’ai peint chez lui deux études que je lui ai données semaine passée, un aloès avec des soucis et des cymères, puis dimanche dernier des roses blanches, de la vigne et une figure blanche là-dedans.»
Théo en fera autant après la mort de son frère pour le remercier de son soutien fidèle pendant la maladie. Les enfants du Docteur Gachet feront don de neuf tableaux au musée du Louvres, de dessins, de la plaque d’une gravure (l’unique eau forte) et de la palette ayant servi pour le portrait de Marguerite.
Le Docteur Gachet, un ami précieux
Dans ce portrait du Docteur Gachet, repose sur la table un brin de digitale pourpre, c’est la plante médicinale qu’il utilise ; sa posture mélancolique dit de lui qu’il éprouve aussi ce mal. Il y a de la tristesse, une pensée perdue dans les profondeurs. La tête est soutenue par la main, les paupières sont basses ; la douleur du monde est lourde à porter, Van Gogh peint un alter égo. « Son expérience de docteur doit le tenir lui-même en équilibre en combattant le mal nerveux duquel certes il me paraît attaqué au moins aussi gravement que moi. »
C’est bien la présence du Docteur Gachet à Auvers qui importe aux yeux de Van Gogh. C’est un être en qui il sent une résonance. «J’ai trouvé en la personne de Gachet un véritable ami » écrit-il à sa soeur, « une sorte de frère, tellement nous nous ressemblons physiquement et psychiquement. Il est lui-même nerveux et fantasque, et il a fourni de nombreux services et revues d’amitié aux artistes de la nouvelle école, pour autant que cela était en son pouvoir. »
« Je travaille à son portrait, la tête avec une casquette blanche, très blonde, très claire, les mains aussi à carnation claire, un frac bleu et un fond bleu cobalt, appuyé sur une table rouge, sur laquelle un livre jaune et une plante de digitale à fleurs pourpres.Cela est dans le même sentiment que le portrait de moi, que j’ai pris lorsque je suis parti pour ici. M. Gachet est absolument fanatique pour ce portrait et veut que j’en fasse un pour lui, si je peux, absolument comme cela, ce que je désire faire aussi. »
Lettre à son frère Théo le 4 juin 1890
Le docteur Gachet a d’ailleurs consacré sa thèse de médecine à la mélancolie. Van Gogh en parle plusieurs fois à Théo : « Il me paraît certes aussi malade et ahuri que toi ou moi, et il est plus âgé et il a perdu il y a quelques années sa femme, mais il est très médecin et son métier et sa foi le soutiennent parfois. »
Le docteur Gachet est aussi un peintre amateur, il signe ses créations sous le nom de Van Ryssel (gravures et dessins) ; les artistes sont ses amis. Cézanne et Pissarro le connaissent déjà ; Pissarro le recommande à Van Gogh pour ses connaissances physiologiques et une certaine compréhension de l’âme. Gachet a d’ailleurs eu une influence positive et stimulante sur Van Gogh, qui semblait travailler plus gaiement. Le suicide fut inattendu aux yeux de l’entourage.
La passion du portrait
Van Gogh dispose de peu de modèles pour s’exercer au portrait à Auvers. Pourtant il aspire à ça : « la seule chose en peinture qui m’émeut le plus profondément et me fait ressentir l’infini, plus que toute autre chose ». Il y voit une quête de « cet éternel indéfinissable, dont le nimbe était le symbole et que nous essayons d’atteindre par l’éclat lui-même, par la vibration de nos couleurs. » Rendre l’âme, les passions, le caractère, voilà ce qui anime Van Gogh.
« Je voudrais faire des portraits qui, cent ans plus tard, feront aux êtres de l’époque l’effet d’apparitions. Je ne cherche toutefois pas à atteindre cela par une ressemblance photographique, mais par une attitude passionnée en employant, comme moyen d’expression et comme moyen propre à intensifier le caractère, notre connaissance moderne de la couleur et notre sentiment moderne de la couleur. »
"Ce qui me passionne le plus, beaucoup beaucoup davantage, que tout le reste dans mon métier - c’est le portrait, le portrait moderne. Je le cherche par la couleur."
Lettre à Whilemien, 5 juin 1890
Il tente de nouveaux formats surprenants comme le carré, et des jeux de couleurs tons sur tons. Il trouve des modèles parmi les jeunes filles de son entourage. Il y a Marguerite, la fille du Docteur Gachet. « Hier et avant-hier j’ai peint le portrait de Mademoiselle Gachet que tu verras bientôt j’espère ; la robe est rose, le mur dans le fond vert avec un point orangé, le tapis rouge avec un point vert, le piano violet foncé, cela a un mètre de haut sur 50 de large. C’est une figure que j’ai peinte avec plaisir – mais c’est difficile. »
Il y a aussi Adeline, la fille de l’aubergiste : « Cette semaine j’ai fait un portrait d’une jeune fille de seize ans ou à peu près, en bleu contre fond bleu, la fille des gens où je loge. Je lui ai donné ce portrait, mais j’en ai fait pour toi une variante, une toile de 15. »
Deux autres jeunes femmes et des enfants ont été peints mais n’ont pas été identifiés.
La force consolante de la nature
Van Gogh reste aussi très proche de la nature, nombre de ses tableaux laissent peu ou pas de place à l’humain en particulier dans la seconde période ; les champs s’étirent, nus, désolidarisés des ouvriers agricoles qui travaillent pourtant à cette saison. Sur 74 tableaux, 20 sont consacrés à des espaces naturels sans présence humaine. Et 13 sont au format « double carré » ; 12 paysages et un portrait en hauteur, d’un format allongé de 50 cm sur 1 mètre. C’est un format mûrement réfléchi et voulu. Il s’inscrit peut-être dans le cadre d’un projet décoratif, une frise, ou bien une exposition.
Champs de blé près d’Auvers provoque une sensation d’étirement vers l’infini grâce à la ligne de fuite en zigzag marquée par les espaces cultivés, et une fine vue du ciel de couleur verte se confondant avec les champs. Cherchant cet effet, Van Gogh parle d’un tableau « d’une longueur de 1 mètre sur 50 cm « seulement » de hauteur ».
"Quant à moi je suis tout à fait absorbé dans l’étendue infinie des champs de blé contre les collines, grande comme la mer."
A Willemien et à sa mère, entre le 10 et le 14 juillet 1890
Voici une composition simple sur deux plans, vert et bleu, la terre et le ciel. L’horizon bas et lourd annonce l’orage. « Ce sont des champs de blé sans fin sous un ciel couvert (…) et je n’ai pas crains d’essayer d’exprimer la tristesse et l’extrême solitude… Je crois presque que ces tableaux vous diront ce que je ne peux pas dire avec des mots, c’est à dire que je vois dans la vie à la campagne des choses saines donnant de la force. »
Un voisin qui l’avait observé à Etten se souvint qu’il dessinait sans cesse « des corbeaux luttant contre l’orage ». C’est un symbole intime et ancien, à de nombreuses reprises Van Gogh a exprimé son sentiment d’être comme un oiseau en cage.
Ce Champ de blé aux Corbeaux dégage néanmoins une tourmente. Ce n’est pas reposant, plutôt menaçant. La plupart des commentateurs y voient l’expression de sombres pressentiments.
Horizon à nouveau resserré depuis les hauteurs du village, au milieu des champs sous la pluie. L’accord des complémentaires bleu violet-jaune et les lignes graphiques de la pluie donnent à ce tableau un bel effet.
« Eh bien, sais-tu ce que j’espère, une fois que je me mets à avoir de l’espoir, c’est que la famille soit pour toi ce qu’est pour moi la nature, les mottes de terre, l’herbe, le blé jaune, le paysan, c’est à dire que tu trouves dans ton amour pour les gens de quoi non seulement travailler mais de quoi te consoler et te refaire, alors qu’on en a besoin. »
Lettre à Théo, septembre 1889
Des champs, à nouveau, avec notamment dans la dernière étude une envie de cadrer autrement, d’atténuer les couleurs, d’épaissir la touche.
Puis une atmosphère immersive dans la forêt qu’il décrit ainsi dans une lettre du 22 juin 1890 : «Un sous-bois, des troncs de peupliers violets qui perpendiculairement comme des colonnes traversent le paysage. » Il ne parle pas du couple au centre de la toile…
« Un calme à la Puvis de Chavannes j’y vois ou y crois voir, pas d’usines mais de la belle verdure abondance et en bon ordre. »
A Théo et Jo Van Gogh Bonger, 25 mai 1890
C’est une jolie étude, atypique car elle contient des figures humaines ; peinte sur une grande feuille de papier elle était sans doute prévue pour une toile double carré.
Van Gogh met de l’ordre dans le chaos, il exécute des projets réfléchis. A cette période, il s’inspire de Puvis de Chavannes. Il en dit beaucoup de bien dans ses correspondances. Notamment qu’il répond au besoin des artistes en recherche de pureté et de pudeur. Dans une lettre à l’écrivain symboliste Théodor de Wyzema, il s’exprime ainsi : « Il incarne pour nous une réaction aux débauches contraires, dont nous nous sommes lassés. Nous avions soif de rêves, de sensations, de poésie. Eblouis par la lumière trop vive, nous aspirions au brouillard. A l’époque, nous nous sommes tournés avec enthousiasme vers l’art poétique voilé de Puvis de Chavannes. Nous aimions même ses erreurs les plus graves, son dessin insuffisant, son manque de couleur. L’art de Puvis devint donc une sorte de cure ; nous nous accrochions à lui, comme les malades s’accrochent à nouvelle méthode curative. »
« Dans la vie je peux… très bien m’en sortir sans le bon Dieu, mais moi, être qui souffre, je ne peux pas m’en sortir sans quelque chose qui est plus grand que moi, qui est ma vie - c’est la force de créer. »
Le beau frère de Théo, Andries Bonger, a notifié que ce tableau était le dernier de Van Gogh, daté du 27 juillet 1890. Peint le jour même de son suicide, il donne un écho symbolique aux quelques mots écrits à Théo dans une lettre du 10 juillet : « ma vie à moi aussi est attaquée à la racine même ».
Bien des commentateurs ont proposé leur version des faits à propos de l’acte de Van Gogh ce soir là sur les hauteurs du village, devant son chevalet. Personne n’a pu sonder les émotions et les pensées du peintre. Toutefois, une lettre non envoyée à Théo a été retrouvée dans la poche de sa veste ; elle constitue à ce jour la dernière lettre connue, elle peut donner des éléments de compréhension. On sait que Van Gogh était lucide à propos du marché de l’art et des difficultés financières de son frère dont il venait en plus d’apprendre qu’il avait contracté la syphilis. Peut-être que le peintre sentait l’étau se resserrer sur ses perspectives d’avenir. Le sentiment de culpabilité de constituer une charge financière revient régulièrement dans sa correspondance avec Théo. Ses ultimes mots seront d’exprimer toute sa gratitude et son respect envers lui et dans le même temps de regretter amèrement la logique du marché qui attribue beaucoup plus de valeur aux oeuvres des artistes morts qu’à celles des vivants :
« Mon cher frère, il y a ceci que toujours je t’ai dit et je le redis encore une fois avec toute la gravité que puissent donner les efforts de pensée assidument fixée pour chercher à faire aussi bien qu’on peut – je te le redis encore que je considérerai toujours que tu es autre chose qu’un simple marchand de Corot, que par mon intermédiaire tu as ta part à la production même de certaines toiles, qui même dans la débâcle gardent leur calme.
Car là où nous en sommes et c’est là tout au moins le principal que je puisse avoir à te dire dans un moment de crise relative. Dans les moments où les choses sont fort tendues entre marchands de tableaux d’artistes morts et d’artistes vivants.
Eh bien moi, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondu à moitié – bon – mais tu n’es pas dans les marchands d’hommes pour autant que je sache, et tu peux prendre parti, je le trouve, agissant réellement avec humanité, mais que veux-tu ? »
Peut-être que le romantisme de Van Gogh le conduit à cela, à sacrifier la vanité d’une existence individuelle au profit de la hauteur de l’idée. Peut-être qu’il espérait que ses tableaux prennent de la valeur et permettent ainsi à Théo désormais marié et papa de subvenir à ses besoins. Peut-être que le désespoir était insurmontable. Peut-être…
L'envol de l'artiste
"Eh bien mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondu à moitié - bon - mais tu n’est pas dans les marchands d’hommes pourtant que je sache, et tu peux prendre parti, je le trouve, agissant réellement avec humanité, mais que veux-tu ?"
Dernière lettre retrouvée dans sa veste le 29 juillet
Le soir du dimanche 27 juillet, Van Gogh se tire une balle dans la poitrine. Il s’est gravement blessé mais il réussit à rejoindre l’auberge Ravoux. Le docteur Gachet avertit Théo le soir même : « On est venu me chercher à 9h du soir aujourd’hui dimanche qui me demandait de suite. Arrivé près de lui, je l’ai trouvé très mal. Il s’est blessé… » Gachet déclare que Van Gogh est inopérable ; Théo arrive le lendemain. Van Gogh succombe à la blessure le 29 juillet vers 1h30 du matin. Il est enterré le lendemain en présence d’amis peintres. Il y a Emile Bernard, Lucien Pissarro, Julien Tanguy et Charles Laval. De nombreux artistes prennent la plume pour exprimer leurs condoléances à Théo ; les lettres sont touchantes, témoignant du respect et de l’admiration de ses pairs. Gauguin écrit : « Vous savez qu’il était pour moi un ami sincère, et qu’il était un artiste, chose rare à notre époque. »
Emile Bernard, dans une lettre à Gabriel Albert Aurier le 31 juillet 1890 écrit : « Vous savez combien je l’aimais et vous vous doutez de ce que j’ai pu le pleurer. » Il convoque les propos de l’aubergiste d’Auvers qui lui confia ses souvenirs et rappelle « la sympathie immense qu’il avait pour lui (…) Ce fut, dit-il, un honnête homme et un grand artiste. Il n’avait que 2 buts, l’humanité et l’art, c’est l’art qu’il chérissait au dessus de tout qui le fera vivre encore. » Enfin, il parle d’un Théo « brisé de chagrin ».
Théo organise rapidement une exposition dans un appartement. Emile Bernard, qui était très proche de Vincent, rassemble les lettres de leur correspondance ; Gachet, bouleversé, prévoit d’éditer une monographie illustrée. Il a aussi réalisé un croquis au fusain de son ami sur son lit de mort. Les tableaux du peintre prennent rapidement de la valeur.
Théo succombe à la syphilis six mois après la mort de son frère, en février 1891 ; sa veuve Johanna fera en sorte de faire connaître les tableaux et les lettres de son beau-frère dont elle a hérité, ce qui constitue un travail énorme. Son fils Vincent fonde le musée Van Gogh d’Amsterdam en 1973 ; Van Gogh est reconnu comme un maître de l’art moderne bien avant la première guerre mondiale.
Pour aller plus loin :
Musée d’Orsay
Catalogue de l’exposition
Van Gogh, Lettres à son frère Théo, Editions Gallimard
« L’art égyptien, par exemple, ce qui en fait l’extraordinaire, n’est-ce pas que ces sereins rois calmes, sages et doux, patients, bons, semblent ne pas pouvoir être autrement qu’ils ne sont, éternellement des agriculteurs adorateurs du soleil ? Les artistes égyptiens donc, ayant une foi, travaillant de sentiment et d’instinct, expriment toutes ces choses insaisissables : la bonté, la patience infinie, la sagesse, la sérénité, par quelques courbes savantes et des proportions merveilleuses. »
Van Gogh, Lettre à Théo
Encore un très bel article sur Van Gogh qui nous révèle un personnage attachant, un immense artiste…Bravo. J’en ressors encore très émue !